Relocaliser les productions pharmaceutiques, par Philippe Miret
La crise COVID a mis en évidence une dépendance industrielle de l’Europe vis-à-vis de l’Asie, notamment pour la production des principes actifs pharmaceutiques.
Cette dépendance est devenue problématique dans la mesure où, dans un délai très court, le besoin simultané des mêmes produits dans le monde entier s’est traduit par un gros déséquilibre entre l’offre et la demande et surtout, à un rallongement des délais d’approvisionnement, source de stress important pour le secteur hospitalier.
Réagissant un peu sous l’emprise de l’émoi suscité dans l’opinion publique et dans les milieux professionnels, les pouvoirs publics se sont emparés du sujet et ont annoncé le lancement d’une campagne de relocalisation des productions, mais qui pourrait s’avérer être compliqué tant le sujet peut être complexe dans sa mise en œuvre.
Si l’on regarde l’évolution de l’industrie pharmaceutique ces dernières décennies, on constate deux évolutions notables dans la production des principes actifs :
- L’augmentation de la pression réglementaire, en particulier dans les pays dits développés, pour garantir la sûreté des produits et la réduction de l’impact environnemental des productions ;
- Le désintérêt progressif des donneurs d’ordre détenteurs des autorisations de mise sur le marché (AMM) pour la fabrication de ces principes actifs, la bataille de la profitabilité se jouant beaucoup plus dans l’innovation thérapeutique et dans la commercialisation des produits.
Ces deux tendances de fond se sont conjuguées pour générer une hausse des coûts de production dans les pays développés, encourager une sous-traitance des laboratoires pharmaceutiques vers des acteurs spécialisés dans la chimie de synthèse et, surtout, une délocalisation vers des pays considérés à « bas coûts » de main-d’œuvre comme la Chine ou l’Inde.
De plus, la photo industrielle actuelle dans les pays développés n’est ainsi pas particulièrement enthousiasmante :
- Des usines en sous-investissement chronique et très dépendantes de donneurs d’ordre qui les mettent en concurrence avec des acteurs chinois ou indiens ;
- Des coûts industriels qui tendent à augmenter au fur et à mesure du durcissement des contraintes réglementaires et environnementales ;
- Des acteurs spécialisés dont la profitabilité est souvent limitée et donc une faible capacité d’investissement dans la modernisation de leurs unités de production ;
- Une capacité globale de production qui tend à se réduire.
Par conséquent, la relocalisation, à coût économique acceptable, ne sera pas simple et prendra du temps, en particulier pour les médicaments sous AMM. Cela peut donc être une opportunité pour faire autrement, c’est-à-dire profiter de cet intérêt nouveau pour repenser l’outil industriel européen.
Ainsi, la France et l’Europe disposent de quelques atouts qui méritent d’être exploités :
- Contrairement à d’autres métiers, les compétences existent encore en France. En particulier, la France dispose d’un excellent terreau d’ingénieurs chimistes qui pourraient utilement mettre leur savoir-faire au service de la chimie de synthèse. Il est impératif de maintenir les savoir-faire en matière de production pharmaceutique sur le sol français.
- La maîtrise à moindre coût de la qualité des productions et l’optimisation des rendements passe par une digitalisation des usines, domaine dans lequel la France peut à juste titre prétendre à un avantage compétitif du fait de la présence de nombreux fournisseurs de solution. La crise doit être l’occasion de moderniser nos sites pour les rendre plus compétitifs et rapatrier des volumes en France.
- Le tissu industriel européen est encore riche avec de nombreuses usines répondant aux meilleurs standards mondiaux, en particulier en matière environnementale.
Il nous apparaît ainsi possible de mettre en œuvre dans les prochaines années une politique volontariste de réindustrialisation des Principes actifs pharmaceutiques sous réserve des conditions suivantes :
- Une volonté politique forte et durable de relocaliser ;
- L’engagement des donneurs d’ordre titulaires des AMM de soutenir, par leur politique d’achat, la modernisation de l’outil industriel de leurs sous-traitants et d’investir dans leur propre outil ! ;
- L’utilisation du levier de la digitalisation des usines pour sortir de l’affrontement stérile entre coût de production et garantie de la qualité des produits et aller vers une conjugaison harmonieuse entre compétitivité et maîtrise industrielle.
Notre conviction est que cette transformation est possible et souhaitable, mais qu’elle implique un véritable changement culturel de l’ensemble des acteurs de la filière.