Comment faire face à l’inflation alors qu’elle impacte durablement les entreprises ?
Aujourd’hui le taux d’inflation est à un niveau qui n’avait pas été vu depuis les années 70 : 6,2% en France et 9,9% dans la zone euro d’après Eurostat. Cette situation semble être partie pour durer, obligeant ainsi les entreprises à s’adapter à ce nouvel environnement où les pratiques habituelles ne fonctionnent guère. Nicolas Horaist et Fabrice Keller, associés, Anaïs Voy-Gillis, directrice associée, apportent des éléments de réponses aux dirigeants d’entreprise.
L’inflation est au plus haut cette année. Comment l’expliquez-vous ? Quelles sont les entreprises les plus impactées ?
L’inflation est liée à des causes conjoncturelles et structurelles. Ainsi, il est nécessaire de rappeler le contexte macroéconomique pour comprendre l’origine de l’inflation avec deux moments clés.
La Covid-19 est venue déséquilibrer les chaînes logistiques avec un effondrement de l’activité et la mise à l’arrêt temporaire de nombreuses usines. À la reprise des activités, il y a eu un phénomène de rattrapage sur la consommation. L’augmentation de la demande s’est donc faite dans un contexte d’offre réduite induisant une offre plus réduite, ce qui favorise l’augmentation des prix. L’augmentation de certains postes de coût comme celui des transports a également poussé les entreprises à augmenter leurs prix. À cette situation, la guerre en Ukraine a ajouté la pénurie de certaines matières premières (céréales, oléagineux) et de l’énergie (pétrole, gaz) et a accéléré, ainsi, le retour de l’inflation.
Les banques centrales, qui avaient créées beaucoup de monnaie pour soutenir l’économie lors de la crise financière de 2008, ont procédé à de nouvelles injections massives durant la crise de la Covid-19 pour soutenir le pouvoir d’achat. Cela a contribué à alimenter la dynamique d’inflation.
Ces raisons laissent penser que l’inflation n’est pas un phénomène passager, d’autant que la situation énergétique ne va pas revenir à la normale aussi rapidement qu’espéré. Les coûts vont continuer d’augmenter, mais face à cela la demande risque de s’amoindrir, provoquant un tassement de la croissance, voire un début de récession.
L’inflation a un impact sur toutes les entreprises. Tous les secteurs sont plus ou moins impactés. D’après les chiffres de l’INSEE, la part des résultats d’exploitation dans la valeur de la production baisse de plus de 2 points par rapport à 2019 dans l’industrie manufacturière, la construction et les services marchands hors transports (Matériels de transport – 10,4 pts, Construction – 3,7 pts, Services marchands hors transports – 3,1 pts). Alors qu’elle s’est accrue de plus de 10 points dans les services de transport.
Par ailleurs, les entreprises des secteurs de l’énergie et du luxe ont les moyens de répercuter les coûts sur leurs produits et services. Ainsi, elles ne dégradent pas leur marge. Or, cela n’est pas le cas dans tous les secteurs. Certains industriels ont arrêté de produire car ils n’arrivaient pas à absorber les hausses de coûts de l’énergie et à les répercuter sur leurs clients. Par exemple, certaines entreprises électro-intensives (verre, aéronautique, chimie, etc.) ont arrêté partiellement ou totalement leur production en attendant une régulation des prix de l’énergie ou un appui du gouvernement. Certaines pourraient faire le choix de réorganiser leur production au profit des territoires où le prix de l’énergie est moins cher.
Au regard de la situation actuelle, les entreprises repoussent leurs investissements à une période plus calme. Alors même qu’elles doivent investir massivement, en particulier les entreprises de l’industrie, dans la modernisation et la décarbonation de leurs unités de production. La fin des PGE (Prêts Garantis par l’Etat) le 30 juin 2022 et la difficulté à emprunter auprès des banques sont d’autres facteurs qui ralentissent les projets d’investissement. En effet, le coût global du crédit a augmenté pour 36% des PME et 53% des ETI au troisième trimestre 2022 selon la Banque de France.
Par ailleurs, dans le secteur industriel, ce sont tous les achats et notamment les matières premières qui augmentent, parfois, conséquences indirectes de l’augmentation du prix de l’énergie. Par conséquent, les entreprises industrielles vont prendre en charge une partie de l’augmentation des coûts et rogner sur leur marge. La trésorerie va se réduire et entraîner une baisse du résultat en fin d’année et donc réduire la capacité d’investissement des entreprises. De plus, certaines entreprises risquent de se trouver dans une situation économique périlleuse au regard de marges déjà faibles.
Or, toutes les entreprises ont besoin d’accélérer et d’augmenter leurs investissements pour se moderniser, se numériser et se décarboner. La décarbonation représente entre un effort d’investissement supplémentaire entre 10% et 13% (entre 25 et 43 milliards d’euros d’investissement annuel) par rapport au flux annuel actuel selon Rexecode. Par conséquent, l’inflation peut potentiellement ralentir la transition des entreprises. Mais ce n’est pas le seul facteur : les ruptures d’approvisionnements, la difficulté à recruter et le niveau d’endettement des entreprises post-crise sont d’autres facteurs à ne pas sous-estimer.
Comment les dirigeants d’entreprise peuvent-ils tenir le cap dans ce nouvel environnement et maintenir la trajectoire de leurs investissements ?
Les solutions sont multiples pour tenir le cap dans ce nouvel environnement. Il convient de se demander “Pourquoi je mets en place cette action ? Comment je la mesure ?” avant d’agir.
Il existe des solutions sur les volets financier, opérationnel et RH.
Tout d’abord sur le plan financier, les dirigeants d’entreprise doivent connaitre leurs coûts de revient en temps réel. C’est pourquoi, il faut les modéliser à l’aide de la data avec un outil dynamique. Il s’agit d’un moyen pour maintenir ses marges face à l’inflation. Les dirigeants d’entreprise doivent être en mesure d’isoler et de suivre l’inflation. Il est nécessaire de dissocier les effets quantité, prix et mix en analysant les bases d’achats et/ou de consommation puis, de mesurer l’impact financier pour l’entreprise, et de mettre en place des outils de suivi.
De plus, il est important de maintenir les investissements en les inscrivant dans une stratégie globale à horizon 5-10 ans de l’entreprise. Ensuite, une des clés de réussite sera de pouvoir quantifier le besoin de financement du business plan découlant de la stratégie définie. Face à ce nouveau besoin, une réflexion doit s’ouvrir afin de définir une stratégie de financement tenant compte du besoin identifié, de sa temporalité, et de la capacité d’autofinancement de l’entreprise. Cette stratégie se construit généralement sur plusieurs leviers : financements publics (collectivités, Etat, Union européenne), financements bancaires, financements désintermédiés non dilutifs, et, enfin, le recours au renforcement des fonds propres.
Ensuite, sur le volet opérationnel, l’inflation rebat les cartes dans les relations fournisseurs et clients. Au niveau des fournisseurs, une réflexion doit s’instaurer sur la performance des services achats, ainsi que, par des renégociations ciblées avec les fournisseurs clés de l’entreprise. À moyen terme, les entreprises peuvent s’engager dans des logiques de collaboration avec leur chaîne de sous-traitance. En donnant une meilleure visibilité sur ses volumes, en comprenant mieux les problématiques des uns et des autres, il est possible de bénéficier d’effets d’échelle qui peuvent être importants. La sécurisation des approvisionnements est clé dans ce contexte.
Pour ce qui est de la répercussion des hausses de coûts sur les prix de vente, le potentiel de hausse n’est pas infini et se heurte à l’élasticité prix, c’est-à-dire, à la sensibilité des volumes à la variation de prix. L’enjeu est de maintenir les volumes, tout en passant de fortes hausses des prix, afin de préserver la marge en valeur.
Cela peut aussi se faire en adoptant des stratégies de tarification plus élaborées, avec une meilleure segmentation de l’offre, des gammes renouvelées ou enrichies afin d’augmenter la valeur perçue par le client. Mais ceci est compliqué dans un contexte de demande hésitante.
Il est également possible de profiter de cette occasion pour repenser les produits afin de réduire les matières nécessaires à leur fabrication, ainsi que les étapes de production pour aboutir aux produits finis. L’évolution des produits nécessite un rapprochement avec les clients pour identifier les fonctionnalités clés et celles qui sont secondaires.
Par ailleurs, les entreprises peuvent également travailler sur la performance de leurs opérations. Une revue des processus permet souvent d’identifier des leviers pour améliorer la productivité de l’entreprise.
Il faut aussi trouver le discours et les arguments pour étayer les hausses de prix demandées aux clients. Et en la matière, les indices INSEE qui font généralement foi dans les discussions commerciales, ne traduisent pas toujours (ou alors imparfaitement) la réalité subie ou vécue par les entreprises. Ils peuvent être parasités par les mesures gouvernementales de soutien, embarquer un décalage temporel ou simplement ne pas refléter la complexité des opérations de l’entreprise.
Enfin, sur le volet des ressources humaines, les dirigeants d’entreprise doivent établir un dialogue social pour anticiper la pression des collaborateurs et échanger avec leurs représentants. Il est essentiel d’être flexible et transparent dans le discours.
Que faut-il retenir de ce nouvel environnement ?
Tout ce que nous venons d’évoquer montre que ce phénomène inflationniste est parti pour durer. Or, les dirigeants d’entreprise n’ont pour la plupart jamais vécu cela : cette situation est inédite. Les règles du jeu jusqu’alors valables ne le sont plus. C’est pourquoi, ils doivent être prêts à agir pour affronter ce phénomène :
- Etre agile ;
- Revoir le modèle d’approvisionnement et de distribution de leur entreprise ;
Et, ainsi, ils pourront continuer à investir et à créer de la valeur, et, parfois, saisir l’occasion pour repenser leur modèle économique.
En résumé
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