Inflation : comment gérer le cash de l’entreprise ?
L’environnement économique tendu (inflation, crise énergétique, hausse du coût des matières premières) et le contexte géopolitique (guerre en Ukraine, tension sur le gaz Russe) réduisent les marges de manœuvre des entreprises et la visibilité de leurs activités sur les prochains mois. La gestion de leur cash dans cette période est devenue plus complexe. En février, plus d’un tiers des dirigeants de PME et TPE indiquent que leur trésorerie s’est dégradée selon Bpifrance Le Lab et Rexecode.
Quel est l’impact du contexte inflationniste sur le cash management des entreprises ? Quelles sont les bonnes pratiques à suivre ?
Paul Guerrier et Frédéric Piolti, associés de June Partners, reviennent sur ce sujet dans cette interview croisée.
Comment le contexte inflationniste qui semble s’installer durablement impacte-t-il le cash management des entreprises ? Que constatez-vous auprès des entreprises accompagnées ?
Le contexte inflationniste et la hausse des taux directeurs par la Banque centrale européenne (BCE) posent des vrais défis aux directions financières depuis plusieurs mois. Ces deux éléments affectent les liquidités des entreprises.
D’une part, l’inflation accroît les coûts de revient, augmente les niveaux de besoin en fonds de roulement (BFR) des entreprises, des stocks et des créances clients. Plus précisément sur le niveau des stocks, il reste anormalement élevé par rapport au volume d’affaires des entreprises. Cela s’explique par la hausse de leur carnet de commandes à la sortie de la crise sanitaire mais aussi et surtout du fait des tensions sur les approvisionnements de nombreuses matières ou composants. Dans cet environnement incertain, nombreux sont nos clients qui ont adopté une attitude “sécuritaire” sur le plan des approvisionnements. Ainsi, les entreprises se sont retrouvées avec un bilan en fin d’année 2022 dans lequel le niveau des stocks était anormalement élevé à la fois en effet volume (à cause du surstockage) et en effet prix (hausse des prix dû à l’inflation).
D’autre part, la hausse des taux directeurs de la BCE de 300 points de base depuis juillet 2022 et la fin du “quoi qu’il en coûte” (dont le dispositif du Prêt Garanti par l’Etat) affectent la trésorerie des entreprises. Paradoxalement, elle semble menacée par la reprise économique, alors que pendant la crise sanitaire elle a été préservée par les dispositifs d’accompagnement de l’Etat français. Tout ceci conduit à augmenter le niveau d’endettement et à alourdir le bilan des entreprises.
Cependant, elles sont touchées plus ou moins significativement et à un niveau différent selon leur secteur d’activité. Chez nos clients, très peu d’entreprises industrielles du B2B et B2C sont épargnées par l’inflation et la hausse des taux directeurs. En revanche, nos clients dans l’événementiel ou le transport aérien, qui ont dû arrêter et reporter leurs activités pendant la crise sanitaire, “surconsomment” leur cash dans cette période de fort démarrage. La reprise va demander aux entreprises d’être attentives à la gestion du BFR et des risques. D’autres qui fournissent le CHR (Café Hôtel Restaurant) en alimentation et en fournitures connaissent une hausse des créances clients. Elles doivent être soucieuses de la santé financière des clients qui peut se dégrader.
L’environnement économique instable et, plus largement, la situation géopolitique n’éclaircissent pas les perspectives des chefs d’entreprise pour 2023.
Quelles sont ainsi les bonnes pratiques à suivre concernant la gestion du cash management ?
Dans cette nouvelle ère, les entreprises qui s’en sortent sont celles qui réagissent le plus vite. Cela passe, par exemple, par la création de circuits alternatifs pour pallier les difficultés d’approvisionnements. La principale question que les chefs d’entreprise doivent se poser avant d’agir est : comment anticiper et s’adapter à ce monde qui change du jour au lendemain ? Ensuite, plusieurs actions sont à mener face à cet environnement économique instable qui pose des problèmes de liquidités pour les entreprises.
Tout d’abord, il faut effectuer une analyse fine de la structure des coûts afin de connaître les raisons de la dégradation de la marge de l’entreprise : quelle est la part de l’effet inflation dans les coûts de revient qui n’a pas été répercutée dans la hausse des prix de vente auprès des clients ? Est-ce un effet de la capacité de l’entreprise à passer des hausses de prix auprès des grands donneurs d’ordre (pricing power) ?
La deuxième action à mener est d’analyser les niveaux de BFR sous deux angles. Le premier angle de l’analyse est financier pour connaître les raisons de la hausse des encours clients et stocks. Le deuxième angle est opérationnel. L’entreprise doit porter un regard sur la gestion de ses stocks et ses approvisionnements, ainsi que sur les différents processus de décisions. Par exemple, elle doit s’intéresser au processus S&OP (Sales and operations planning) pour la prise de commande et la planification des besoins. Puis, elle doit regarder le cheminement des demandes clients vers les responsables des achats/approvisionnements qui effectuent les commandes de matières premières. L’entreprise doit enfin prendre en considération les contraintes industrielles afin d’optimiser son processus avec des potentiels gains de productivité, de matière ou de réduction des besoins d’énergie à la clé.
La troisième action à mener est de tirer, des analyses précédentes, des axes d’amélioration utiles pour la direction générale et la direction financière. Le but est qu’elles se projettent sur les six à douze prochains mois, dressent des perspectives de liquidités pour anticiper les problèmes et conservent un climat de confiance avec leur écosystème financier (banques, assureurs-crédit).
Cette anticipation passe par la définition et la mise en place d’un outil d’alerte, de suivi et de pilotage de la trésorerie. Nous avons, d’ailleurs créé un outil “Inflation” développé en interne. Il s’appuie sur des faits et analyse de manière dynamique les impacts de l’inflation pour accompagner les entreprises sur la gestion et la prévision de leur trésorerie.
Que faut-il retenir ?
Cet environnement économique imprévisible montre que le cash management est un élément clé dans le fonctionnement des entreprises et qu’il nécessite agilité et vigilance.
D’une part, l’agilité passe par la capacité des entreprises à négocier avec leurs partenaires (clients, fournisseurs, banques), à développer des stratégies en interne et à trouver des nouveaux processus industriels moins énergivores.
D’autre part, elles doivent être vigilantes à la gestion du cash même après la fin de la crise sanitaire pour éviter des difficultés à cause, par exemple, d’une “surconsommation” de cash pendant la reprise de leur activité.
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