Avis d’experts – Finance durable : nécessité ou cosmétique ? par Paul Guerrier, associé et Moussa Soukouna, consultant

Décembre 2021

S’il a fallu attendre les années 70 pour voir apparaître le premier fonds socialement responsable, le phénomène prendra de l’ampleur quelques décennies plus tard en regroupant les questions de gouvernance et d’urgence climatique autour d’une émulation commune que l’on connaît aujourd’hui sous les noms de « Finance durable », « Finance ESG » ou encore « Finance verte ».

L’Accord de Paris initié en 2015 viendra faire de ces préoccupations une priorité à l’échelle mondiale en invitant autour d’une table la communauté internationale afin d’accélérer la transition écologique.

De nombreux acteurs de la finance affirment faire de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité. Les résultats contrastés de l’activité de financement des producteurs d’énergies fossiles sèment cependant le doute sur la réelle implication des parties prenantes et sur la déformation des termes relatifs à la « finance durable » à leur avantage.

Nécessité d’une prise de conscience collective des enjeux

La finance durable a pour objectif de faciliter la transition énergétique de l’économie en favorisant les financements de projets à impacts environnementaux et sociétaux positifs avec pour finalité de lutter contre le réchauffement climatique.

L’objectif paraît ambitieux du fait de sa portée internationale et sa difficulté à être mesurable. C’est pourtant le défi relevé par l’Accord de Paris qui fixe des objectifs plus ou moins quantifiables dont les 2 principaux sont (i) le maintien de l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2° Celsius et (ii) l’atteinte de la neutralité carbone, le tout à horizon 2050.

Pour y parvenir, des moyens considérables sont déployés à travers le monde.

Le secteur de la Finance a pris conscience des enjeux et a développé des outils destinés à financer la transition énergétique à l’image des green bonds ou encore des prêts à impact assortis d’objectifs dont l’atteinte (ou la non-atteinte) fait osciller la marge du prêt. On peut citer Carrefour qui projette d’inclure dans son programme annuel d’obligations à moyen-terme des Sustainability-Linked Bonds (SLB) adossés à 3 indicateurs de performance RSE : (i) la réduction des émissions de gaz à effet de serre, (ii) la réduction des emballages, (iii) la lutte contre le gaspillage alimentaire.

A l’échelle communautaire ou nationale, des subventions et avantages fiscaux (Plan de relance, Crédit d’impôt Transition Energétique [CITE]…) ont vu le jour en vue d’inciter les entreprises et ménages à prendre part à cette action qui se veut collective.

Les dérives d’une communication trompeuse ou à deux vitesses

A différents niveaux, les acteurs économiques semblent avoir fait de de la transition énergétique un objectif fondamental comme en témoignent les diverses communications, que ce soit lors de l’annonce des résultats financiers, du renouvellement des vœux de fin d’année ou encore dans l’appellation des produits commercialisés, qui convergent toutes vers un seul et même objectif : la diminution de l’empreinte écologique.

Pourtant, les rapports rendus par les ONG et autres associations de défense de l’environnement pointant du doigt les entreprises ou encore l’activité de financement des banques viennent contredire cette « prétendue » prise de conscience. Elles mettent en garde contre le “greenwashing”, terme désignant une méthode consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique de manière détournée pour améliorer son image.

De 2016 à 2020, les 60 plus grosses banques mondiales ont financé des activités productrices d’énergies fossiles ou génératrices de déforestations pour près de 3 800 milliards de dollars selon le rapport « Banking on Climate Chaos » (Rainforest Action Network, Reclaim Finance…2021).

En avril 2021, elles sont nombreuses à s’être engagées à s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris. On dénombre ainsi quelques 43 banques qui ont rejoint la « Net Zero Banking Alliance » poursuivant la politique de sortie du financement d’énergies fossiles à horizon 2050.

Pour autant, une rupture totale et immédiate des financements mettrait en péril des secteurs entiers de l’économie et les conséquences en seraient désastreuses. C’est pourquoi le virage vers la transition énergétique de ces activités à forte empreinte carbone, qui se trouvent également être des partenaires historiques des banques, doit être séquencé en plusieurs phases.

En vue de les accompagner, des plans pluriannuels et sectoriels pourraient être envisagés. Leur impact social étant significatif, l’intervention d’experts et d’institutions publiques ne serait pas à exclure.

Vers une harmonisation du cadre règlementaire et une définition commune

Afin d’atteindre les objectifs, l’effort doit être collectif et les entreprises ont un rôle crucial à jouer. La définition d’objectifs clairs, identifiables, mesurables et atteignables dans un délai déterminé à l’avance paraît indispensable. De même que la tenue d’une feuille de route avec différentes étapes intermédiaires à suivre dans le temps afin de vérifier que l’évolution des actions et des résultats atteints s’inscrivent dans la trajectoire des objectifs fixés.

Les dérives du « greenwashing » sont permises par l’absence d’une définition commune et d’un cadre réglementaire harmonisé délimitant les contours de la finance durable qui est, dès lors, sujette à interprétations et c’est ce que s’efforce d’établir la communauté internationale.

A l’échelle communautaire, nous pouvons citer deux exemples d’initiatives qui vont dans ce sens :

  • Le Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) définit un cadre réglementaire qui tend vers une obligation de transparence devant permettre d’accélérer l’intégration des critères ESG au sein des activités financières,
  • La Taxonomie Européenne définit pour les acteurs financiers de près de 70 secteurs, les activités économiques pouvant être qualifiées de « vertes ». Ces activités doivent contribuer aux 6 objectifs environnementaux (atténuation et adaptation au changement climatique, protection de l’eau, protection & restauration de la biodiversité, lutte contre la pollution, transition vers une économie circulaire).

A l’échelle nationale, Paris ne cache pas sa volonté d’être la place mondiale de la finance durable. Dans cette optique Bercy se dote de la plateforme « Impact » qui liste les 47 indicateurs ESG que pourront renseigner les entreprises dans leurs rapports extra-financiers. Parmi ces indicateurs, on retrouve entre autres les émissions de gaz à effet de serre, le nombre d’administrateurs indépendants et l’équité de la rémunération hommes/femmes.

Cette harmonisation se veut à terme internationale. Elle doit permettre un meilleur encadrement de l’action collective ainsi qu’un contrôle accru de la communication afin d’endiguer la pratique du « greenwashing ». Elle doit également définir le calendrier et les étapes de ce « virage écologique ».